LE DERNIER DUEL, le nouveau grand plaidoyer féministe de Ridley Scott
Film d’époque ambitieux, encensé par la critique, LE DERNIER DUEL est un blockbuster comme on n’en fait presque plus à Hollywood. Avec son casting de grande classe et son propos on ne peut plus d’actualité, ce nouveau long-métrage rappelle que le vétéran britannique sait mettre en scène des personnages féminins marquants comme personne.
Le Moyen Âge est une période de l’histoire toujours considérée très négativement aujourd’hui, et les duels judiciaires qui y étaient organisés ne sont que l’une des innombrables pratiques qui nous semblent aujourd’hui très arriérées. Comme le titre du film l’indique, c’est le tout dernier d’entre deux qui a intéressé Ridley Scott, et l’a décidé à adapter le livre éponyme publié en 2004 par un spécialiste américain de la littérature médiévale, Eric Jager. Il faut dire que LE DERNIER DUEL raconte une histoire qui, si elle prend place en 1386, fait terriblement écho à l’époque actuelle : celle d’une femme victime d’agression sexuelle dont la parole est remise en cause. Cette femme, c’est Marguerite de Carrouges (Jodie Comer), l’épouse du brave chevalier Jean de Carrouges (Matt Damon), qui accuse de viol un certain Jacques Le Gris (Adam Driver), écuyer brillant et charismatique en pleine ascension à la cour, se trouvant également être un ancien ami de Jean avant de devenir son rival. Evidemment, Jacques réfute les accusations portées contre lui, mais Marguerite n’en démord pas et réalise l’impensable pour l’époque en osant continuer de l’ouvrir contre son agresseur.
Elle est bien mal payée de son courage, puisque pour classer cette affaire, un combat à mort est organisé entre les deux hommes, avec un principe simple : on considère que le vainqueur est soutenu par Dieu et dit donc la vérité. Cela signifie aussi que si Jean est défait lors du duel, Marguerite sera brûlée vive pour fausse accusation, et que leur enfant deviendra orphelin, comme elle le fait très justement remarquer à son mari, trop obsédé par l’idée de défendre son honneur pour se préoccuper du sort de sa femme. Mais si ce duel ultraviolent en armure occupe une bonne partie du film, il n’en constitue bien sûr pas le cœur. Car ce que LE DERNIER DUEL met d’abord en scène, c’est la confrontation entre trois points de vue sur les mêmes événements, le fameux effet Rashōmon popularisé par Akira Kurosawa dans le cultissime RASHOMON (1950). Le long-métrage de Ridley Scott se découpe ainsi en trois flashbacks : d’abord la version de Jean (écrite par Matt Damon), puis celle de Jacques (signée Ben Affleck), et enfin celle de Marguerite, qui constitue la vérité et est l’œuvre de la réalisatrice et scénariste Nicole Holofcener.
Cette collaboration entre Ben Affleck et Matt Damon à l’écriture est un petit événement, puisque c’est la première fois qu’ils cosignent un scénario ensemble depuis l’Oscar reçu en 1998 pour WILL HUNTING (Gus Van Sant, 1997). Et si le premier a finalement un rôle plus discret que prévu dans le LE DERNIER DUEL, Matt Damon est assez génial dans son rôle – comme à chaque fois qu’il est amoché d’ailleurs. Mais la vraie star du film est évidemment Jodie Comer, l’actrice britannique dont la carrière a explosé grâce à ses rôles dans les séries THIRTEEN (POLAR+), THE WHITE PRINCESS (STARZPLAY) et surtout la pépite féministe de Phoebe Waller-Bridge, KILLING EVE (CANAL+). Rien d’étonnant donc si Ridley Scott a décidé de la choisir pour lui faire incarner ce grand rôle d’héroïne tragique, lui qui a déjà lancé la carrière de Sigourney Weaver en lui confiant le personnage féministe pionnier de Ripley dans ALIEN (1979), référence absolue de la science-fiction. Le cinéaste britannique remettra ça en 1991 en réalisant un autre film culte du cinéma féministe, l’indémodable road movie THELMA ET LOUISE porté par Geena Davis et Susan Sarandon.
Et les adeptes de Ridley Scott auront bien sûr remarqué que LE DERNIER DUEL rappelle son tout premier long-métrage sorti en 1977, le génial LES DUELLISTES – les deux films ont été en partie tournés au même endroit en France –, où Keith Carradine et Harvey Keitel s’affrontaient, mais cette fois à l’époque napoléonienne. Car outre les grandes figures féminines et la critique de la domination masculine, le réalisateur vétéran est aussi un dingue des films d’époque, deux passions d’ailleurs réunies dans son long-métrage le plus récent, le controversé HOUSE OF GUCCI (2021), qui met en scène Lady Gaga dans le rôle de Patrizia Reggiani. Ce dernier a rencontré un succès beaucoup plus important que LE DERNIER DUEL, ce que l’on a interprété comme un signe clair de désamour du public pour le « blockbuster d’auteur ». La preuve, le prochain projet de Ridley Scott, qui racontera la jeunesse de Bonaparte, ne sortira pas en salles mais uniquement sur une plateforme. On ressent une certaine tristesse à l’écriture de cette phrase, dans la mesure où LE DERNIER DUEL est sans doute l’un des meilleurs films sortis en 2021…