Les Invisibles, un succès dans la grande tradition des comédies sociales
A priori la fonction du cinéma social n'est pas de faire rire. Pourtant de Ken Loach à Albert Dupontel, de nombreux réalisateurs ont prouvé que l'humour n'était pas incompatible avec des thèmes durs de société ; il permet même souvent de rendre leur lecture plus accessible. Les Invisibles, qui traitent des femmes sans-abri, se situe dans cette veine et a obtenu un grand succès en salles.
Depuis Charlie Chaplin, nous le savons : au cinéma, aborder un thème social n'exclut pas l'humour. La réciproque est aussi vraie : il n'est pas incompatible d'écrire une comédie avec un thème social fort. Le « vieux » cinéma italien (celui de la fin des années 50 jusqu'aux années 70) s'en est fait une spécialité ; une satire sociale comme Le Pigeon (Mario Monicelli, 1958), grand succès à sa sortie, prouve que n'est pas parce qu'il y a de la légèreté dans un film que son sujet (ici les laissés-pour-compte) est pris à la légère.
Le cinéma anglais excelle aussi dans ce domaine. De la filmographie de Ken Loach au classique du genre The Full Monty (Peter Cattaneo, 1997), le social est au cœur des sujets sans que l'humour soit mis de côté ; il s'agit d'une arme pour ne pas prendre en otage le spectateur avec un potentiel excès de misérabilisme. Et – pourquoi pas – d'apporter un contraste au gris, une touche d'optimisme.
Le cinéma français compte lui aussi beaucoup de comédies sociales, de La Crise (Colline Serreau, 1992) jusqu'à Samba (Eric Toledano et Olivier Nackache, 1994). Un réalisateur comme Gérard Jugnot a délaissé la simple comédie pour traiter des sans-abri dans Une Époque formidable (1991) ; même si le fond y est bien sûr dramatique, le panache des personnages, les dialogues souvent cocasses et les situations légères permettent de contrebalancer avec l'ambiance pesante propre à son sujet.
La comédie sociale est aussi une spécialité d'Albert Dupontel. Lorsque l'on songe à Bernie (1996) ou dix ans après à Enfermés Dehors (2006), on pense avant tout à des comédies, pourtant le premier traite d'un orphelin jeté à la poubelle à sa naissance, et le second se déroule au milieu des sans-abris. Ses compères Benoît Delépine et Gustave Kervern appartiennent à la même famille de cinéma. Connus d'abord pour leur humour potache chez Groland, leur longs-métrages ont un contenu social fort, tout en ne se privant pas d'y injecter de la drôlerie, ce qui leur vaut souvent d'être comparés à Ken Loach.
Restons en France. Récemment, nombreux ont été les films à mélanger comédie et thèmes sociaux : on peut citer par exemple Les Bonnes intentions (Gilles Legrand, 2018) ou Rebelles (Allan Mauduit, 2019). Ces longs-métrages confirment que n'est pas parce qu'on aborde un sujet sensible que le ton doit l'être lui aussi à tout bout de champ. Sur les écrans le 23 octobre, Hors normes d'Eric Toledano et Olivier Nakache devrait être dans le même (bon) esprit. En abordant le sujet des femmes sans-abris, Les Invisibles appartient aussi à cette catégorie de films sociaux et drôles.
Adaptation du livre Sur la route des invisibles (Claire Lajeunie, 2015), Les Invisibles est le résultat d'un grand travail d'immersion. Le réalisateur Louis-Julien Petit s'est rendu pendant un an dans plusieurs centres d'accueil pour des femmes SDF et a demandé à ses actrices une grande implication – Audrey Lamy a fait du bénévolat dans un centre d'accueil, Sarah Suco a dû faire la manche... Corinne Masiero joue la directrice du centre d'accueil ; l'actrice avait notamment marqué le public dans Louise Wimmer (Cyril Mennegun, 2012), un film dans lequel elle jouait une femme qui se retrouvait à la rue (pour être exact, elle vivait dans sa voiture). La plupart des autres comédiennes sont quant à elles à l'origine de véritables sans-abri.
Malgré son sujet, Les Invisibles use de beaucoup de ressors comiques. Et on peut dire que l'humour a là encore été bénéfique : avec 1,4 million de spectateurs en salles et un projet de remake américain, Les Invisibles ont clairement pris la lumière.
Les Invisibles, disponible dès le 22 octobre sur CANAL+