Ce film où Marion Cotillard livre le rôle de sa vie
À la croisée de la fiction et du documentaire, ce film expérimental permet à la réalisatrice Mona Achache de ressusciter sa mère à l’aide d’un dispositif inédit. Mais si Little Girl Blue déstabilise autant, c’est aussi parce que l’actrice oscarisée, Marion Cotillard, y livre une des performances de sa vie.
Le 1er mars 2016, l’écrivaine et actrice Carole Achache mettait fin à ses jours à l’âge de 63 ans. Un geste resté mystérieux pour sa fille Mona, qui a hérité de montagnes de cartons contenant les enregistrements, les photos et les lettres de sa mère.
Un corpus colossal que la réalisatrice franco-marocaine a décidé d’exploiter dans un film pour tenter de mieux comprendre la vie mouvementée de cette dernière. Mais l’ambition ne s’arrête pas là, puisque Mona Achache a convoqué nulle autre que Marion Cotillard pour ressusciter sa mère.
L’entame de LITTLE GIRL BLUE est ainsi marquée par une scène hallucinante où l’actrice oscarisée pour LA MÔME (Olivier Dahan, 2008) enfile uns à uns les vêtements et les accessoires – parfum inclus – de Carole Achache sous les yeux de Mona.
En quelques instants, Marion Cotillard s’efface physiquement derrière le personnage, et commence alors un impressionnant voyage à travers ces milliers d’archives, à l’aide d’un dispositif audacieux.
Mona Achache dispose en effet pour seul et unique lieu de tournage d’un local désaffecté, où elle projette des images de décors pour recréer des lieux, des ambiances et des époques particulières, comme Paris en 1968 ou New York dans les années 1970. Elle n’hésite pas non plus à briser le quatrième mur en filmant son actrice star au travail – et c’est passionnant.
On découvre ainsi Marion Cotillard buter d’abord sur la synchronisation de ses lèvres avec les enregistrements de Carole Achache, avant de dompter l’exercice et même de se lancer dans une imitation spectaculaire, à tel point que très rapidement, on ne sait plus si l’on entend la voix de l’écrivaine ou de l’actrice.
Et le trouble s’accentue lorsque LITTLE GIRL BLUE commence à dérouler le fil de la vie de Carole Achache, après avoir évoqué celle de Monique Langue, sa mère elle-même écrivaine. C’est par elle que Carole a fait la rencontre de Jean Genet, qui abusa d’elle alors qu’elle avait à peine plus de 10 ans. Le film s'enfonce alors dans les bas-fonds les moins recommandables de la révolution sexuelle post-Mai 68.
Dans un monologue qui glace littéralement le sang, Marion Cotillard revit l’exil new-yorkais de la toute jeune Carole Achache, fait de toxicomanie et de prostitution. Et la nausée ne s’arrête pas là, car plusieurs hommes – le plus souvent nommés Jean – ont visiblement eu des comportements plus que condamnables aujourd’hui avec les femmes de la famille Achache.
Un lien invisible se tisse alors entre ces trois générations d’artistes, celui d’une triste malédiction où être victime d'agressions sexuelles ressemble à un passage obligé, et où certaines complicités familiales aggravent le traumatisme. Avec LITTLE GIRL BLUE, Mona Achache semble ainsi exorciser les démons de ce passé avec lequel il sera difficile de se réconcilier, mais elle signe incontestablement aussi une œuvre radicale qui hantera longtemps les esprits.
Quant à Marion Cotillard, on peut affirmer que si ANATOMIE D’UNE CHUTE (Justine Triet, 2023) était sorti une autre année, elle aurait sans doute remporté un troisième César pour ce rôle qui rappelle – si cela était nécessaire – qu’elle est l’une des plus grandes actrices françaises en activité.