Le Théorème de Marguerite : le triomphe de la révélation Ella Rumpf
Lauréate du César de la meilleure révélation féminine cette année, l’actrice franco-suisse est la sensation du dernier film d’Anna Novion, où elle incarne avec brio une mathématicienne obsessionnelle. Au point de nous réconcilier avec les équations ? Le Théorème de Marguerite incite à répondre un grand oui.
On ne fait pas injure aux mathématiques si l’on dit que les rendre cinégéniques relève de la gageure. C’est pourtant le pari réussi par Anna Novion dans LE THÉORÈME DE MARGUERITE (2023), où les équations incompréhensibles pour le commun des mortels finissent par ressembler à une création artistique qui peut consumer ses adeptes.
C’est le cas de Marguerite Hoffmann, une élève surdouée de l’ENS qui a planché pendant des années sur la mystérieuse conjecture de Goldbach, avant de voir tout son travail s’écrouler en direct lors de la présentation des résultats.
Lâchée par son directeur de thèse déçu (un Jean-Pierre Darroussin sournois à souhait) qui préfère désormais miser sur un autre élève brillant (joué par la révélation Julien Frison), la voilà qui décide d’abandonner du jour au lendemain cette institution où elle était la seule femme.
Marguerite déménage Porte de Choisy dans le 13ème arrondissement, où elle se découvre un talent très lucratif pour le Mah-jong dans les tripots du coin, et où elle s’installe en colocation avec une danseuse beaucoup moins coincée qu’elle (Sonia Bonny). C’est le point de départ d’une lente transformation pour cette matheuse qui se promenait en chaussons à l’ENS et semblait n’avoir aucun intérêt pour autre chose que les équations – et encore moins pour ses semblables.
Totalement méconnaissable par rapport à son rôle récent dans la série TOKYO VICE (CANAL+) ou à ses débuts dans GRAVE (Julia Ducournau, 2016), Ella Rumpf a opéré une métamorphose radicale à l’américaine pour ce rôle, où sa démarche, sa posture et son regard complètement décalés ont dû être travaillés à l’extrême, de même que sa diction très particulière, qui lui permet de réciter avec une assurance assez folle des montagnes d’équations sans sourciller.
Comme Anna Novion, l’actrice franco-suisse a aussi passé beaucoup de temps en amont du tournage avec la mathématicienne Ariane Mézard, consultante sur le film. Et cela a payé, puisqu’Ella Rumpf a battu une concurrence féroce dans sa catégorie aux derniers César – notamment Kim Higelin pour LE CONSENTEMENT (Vanessa Filho, 2023). Mais LE THÉORÈME DE MARGUERITE aurait peut-être mérité davantage de nominations, tant le travail de mise en scène d’Anna Novion est remarquable.
La réalisatrice franco-suédoise parvient à nous passionner pendant près de deux heures pour les mathématiques en soignant particulièrement la plastique du film – on se souviendra longtemps de quelques fondus et de l’éclairage de certaines scènes nocturnes. Enfin et ce n’est pas le moins important, elle dit beaucoup de choses sur la domination masculine qui s’exerce comme ailleurs dans ce milieu, sans avoir besoin de trop appuyer son propos. Bravo.