La Zone d’intérêt, le film choc sur le commandant d’Auschwitz
Sacré à Cannes et aux Oscars, l’ambitieux long-métrage de Jonathan Glazer sur le quotidien de la famille Höss a réouvert le débat sur la représentation de la Shoah au cinéma. Mais au-delà des controverses, La Zone d’intérêt constitue aussi une réflexion passionnante sur la banalité du mal, et le nouveau sommet de la carrière d’un réalisateur décidément hors normes.
Trois minutes d’un simple écran noir accompagné d’une musique instrumentale indescriptible (signée Mica Levi). Dès cette introduction inoubliable, le quatrième long-métrage de Jonathan Glazer installe son ambiance glaçante et nous fait comprendre qu’il n'est pas un projet comme les autres.
Autrement dit, LA ZONE D’INTÉRÊT (2024) est un film qui s’écoute au moins autant qu’il se regarde, car avec son adaptation très libre du roman éponyme de Martin Amis, Jonathan Glazer s’attaque à un immense défi : réaliser un film sur la Shoah sans montrer sa réalité.
Son parti-pris ? Filmer la banalité du quotidien de la famille Höss, installée avec ses enfants dans une très confortable maison avec toutefois une particularité monstrueuse : elle est construite en bordure immédiate du camp de la mort le plus tristement célèbre de l’Allemagne nazie.
Car Rudolf Höss (joué par un Christian Friedel terrifiant) n’est pas n’importe qui : il est le commandant d’Auschwitz, un homme qui a gravi les échelons par sa capacité à appliquer la « Solution finale » de façon particulièrement zélée.
Sa femme Hedwig – jouée par une Sandra Hüller qui aurait mérité une deuxième nomination aux Oscars en plus d’ANATOMIE D’UNE CHUTE (Justine Triet, 2023) – est au moins aussi effrayante, puisqu’elle semble jouir de cette ascension sociale sans jamais sembler vraiment dérangée par le génocide organisé de l’autre côté du mur d’enceinte.
Il y a pourtant de quoi : le son minutieusement préparé et enregistré du film – on a rarement vu un Oscar aussi mérité – restitue toute l’horreur de la Shoah. La monstruosité de ce quotidien est notamment illustrée lors de la visite de la mère d’Hedwig Höss, une nazie convaincue qui ne peut pourtant pas supporter d’entendre le vrombissement permanent des fours crématoires, ainsi que les visions nocturnes apocalyptiques qui vont avec.
À travers elle, LA ZONE D’INTÉRÊT interroge notre indifférence à un mal qui peut prendre place quasiment sous nos yeux, une réflexion malheureusement d’actualité que Jonathan Glazer n’a pas manqué de souligner lors de son discours engagé aux Oscars.
Après trois premiers films déjà remarquables dans des genres radicalement différents, le cinéaste britannique prouve avec LA ZONE D’INTÉRÊT sa capacité à aborder sous un nouvel angle l’un des sujets les plus délicats de notre Histoire. Si l’on met de côté une séquence surréaliste en caméra thermique, sa façon très clinique – de longs plans larges et fixes – de filmer la famille Höss, réactualise le fameux concept de banalité du mal forgé par Hannah Arendt.
Et s’il n’apporte pas de réponse évidente à la question de la représentation des victimes de la Shoah au cinéma, Jonathan Glazer leur rend hommage avec une dernière séquence frappante qui rappelle la nécessite de lutter contre l’effacement progressif de cette mémoire commune. Et il rappelle une triste vérité : les pires atrocités ne sont pas commises par des monstres mais par des êtres banalement humains. Car au contraire du mal, les monstres n’existent pas.
LA ZONE D'INTÉRÊT, disponible sur CANAL+.