The Bear (Disney+), la sensation de l’automne des séries
Décidément, le milieu de la restauration est à la fête dans la fiction. Après l’incroyable film The Chef (Philip Barantini) sorti en début d’année, voilà qu’arrive en France la grosse surprise d’une rentrée sérielle écrasée par les superproductions. Et contrairement à ces dernières, The Bear peut réellement prétendre au titre de meilleure série de 2022.
C’est l’un des emblèmes de la ville de Chicago, et c’est l’une des stars de la série The Bear, à tel point qu’il connaît un regain de popularité. Lui, c’est le fameux sandwich Italian Beef, une spécialité culinaire vieille de quasiment un siècle. Et les meilleures adresses qui en servent dans la ville des vents ne déconnent pas du tout avec la préparation de cette spécialité. C’est le cas du restaurant fictif de The Bear, « The Original Beef of Chicagoland », une institution locale située dans un quartier populaire de Chicago, mais logiquement en grande difficulté depuis que son propriétaire a décidé de se suicider.
C’est dans ce contexte carrément déprimant que débarque son frère endeuillé Carmen, un chef étoilé habitué au luxe des grands restaurants new-yorkais, mais qui revient à la maison pour tenter de sauver cette affaire familiale au bord du gouffre, criblée de dettes, où l’inspection de l’hygiène risque de faire une attaque de panique, et où tout menace de vous exploser à la figure, des toilettes à la borne d’arcade vintage en passant par les trafics du coin. Pas effrayé par ce cauchemar en cuisine, le garçon se retrousse les manches et a l’avantage de connaître ses gammes. Mais il aimerait bien moderniser un peu le lieu – littéralement dans son jus – et c’est là que ça coince : il se heurte à l’hostilité des salariés, habitués à faire tourner l’endroit à leur manière depuis toujours.
La rencontre produit des étincelles, et c’est justement ce qui fait le sel de The Bear : la série nous plonge dans le bain bouillant d’une cuisine à l’ancienne, où la tension est maximale. Les personnages se hurlent dessus, s’invectivent et s’embrouillent sur chaque détail de chaque plat en plein « coup de feu », ce moment de préparation très stressant qui précède l’heure de pointe dans un restaurant.
Filmée caméra à l’épaule, au plus près des visages et des gestes des chefs – ici, tout le monde a droit à ce titre – et appuyée par un montage aussi précis que la recette de l’Italian Beef, The Bear montre comme aucune autre série l’envers du décor de la restauration, dans un registre suffocant qui ne laisse quasiment aucun répit (la série dure seulement quatre heures au total), une rareté dans le paysage sériel actuel où la tendance est de tirer de plus en plus à la ligne. Cette sensation est renforcée par le débit et l’authenticité des dialogues, formidablement écrits et/ou improvisés par des interprètes qui se donnent sans compter, et dont on comprend très vite qu’ils ont pris de sérieux cours de cuisine avant de commencer le tournage.
C’est le cas évidemment de Jeremy Allen White (Shameless), l’acteur principal de la série, impressionnant dans le rôle de ce chef un peu paumé et qui se noie dans le travail pour tenter de fuir les démons liés à la mort de son frère Michael, qui lui a légué le restaurant et qui est joué par un sacré guest, Jon Bernthal (The Walking Dead). L’ancien meilleur ami de Michael et membre le plus impétueux de la brigade est incarné par Ebon Moss-Bachrach et son physique menaçant (Girls, The Punisher), inévitable en ce moment sur Disney+ puisqu’après The Dropout, il est aussi à l’affiche de la série Star Wars Andor.
Et dans le rôle de la nouvelle recrue talentueuse et ambitieuse, Ayo Edebiri (Dickinson) fait également forte impression. Mais cela est bien sûr rendu possible par la finesse de l’écriture de tous les personnages de cette cuisine, rendus très attachants par la diversité de leurs fêlures – dépression, management toxique, burn-out, addictions, deuil, modèle étouffant de la masculinité – et qui forment malgré les conflits une famille maintenant un lien social vital, dans une ville de Chicago grignotée par la gentrification, mais à qui la série rend un hommage vibrant.
On doit cette réussite au talent de Christopher Storer – déjà à l’œuvre sur la brillante série Ramy (STARZPLAY) –, créateur, scénariste et réalisateur de la plupart des épisodes de The Bear – dont l’incroyable épisode 7 et son plan-séquence –, en compagnie de Joanna Calo, transfuge de BoJack Horseman (Netflix). Pour ne rien gâcher, la série est un délice pour les oreilles grâce à sa bande-son rock très inspirée, et le travail réalisé sur le mixage sonore des bruits de cuisine et la photographie des aliments préparés a aussi de quoi vous faire saliver. Et vous n’avez pas fini d’avoir faim devant The Bear, puisque grâce à la hype qui l’entoure depuis sa sortie aux Etats-Unis, elle a déjà été renouvelée pour une deuxième saison.
The Bear épisodes 1 à 8 sur Disney+, disponible avec CANAL+.