Ce soir à la TV : May December, le face-à-face vénéneux entre Natalie Portman et Julianne Moore
Injustement snobé par les cérémonies de récompenses en début d’année, le dernier long-métrage de Todd Haynes est pourtant l’un des meilleurs films de 2024. Porté par deux actrices d’exception ainsi qu’une esthétique et un scénario terriblement tordus, May December est peut-être même le nouveau chef-d’œuvre de son réalisateur.
La société change, mais la différence d’âge dans un couple reste un sujet d’éternels débats. Aux Etats-Unis, il existe même une expression désignant deux tourtereaux séparés par un écart important : May-December. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce titre convient bien à l’histoire racontée par Todd Haynes dans son film, où Julianne Moore incarne Gracie, une femme qui a passé quelques années en prison pour avoir eu une relation avec Joe (Charles Melton), un ado de 13 ans.
Cette relation – inspirée de la vraie affaire Mary Kay Letourneau, qui a défrayé la chronique pendant les années 1990 – a connu des rebondissements pour le moins inhabituels, puisque Gracie a accouché d’un enfant de Joe en prison avant de l’épouser. Plutôt que de s’intéresser à cette période, Todd Haynes opère évidemment un pas de côté, en faisant débarquer vingt ans plus tard Elizabeth (Natalie Portman), une actrice venue se renseigner er s'inspirer de Gracie avant de l’incarner au cinéma.
Cette comédienne qui cache plus ou moins bien ses motivations troubles s’immerge dans la vie de ce foyer – qui compte désormais trois enfants dont deux s’apprêtent à quitter le nid – désormais installé dans une maison cossue du Sud des Etats-Unis.
En apparence, Gracie et Joe mènent maintenant une vie de famille heureuse, loin des caméras et des scandales, mais en grattant un peu ce vernis, Elizabeth fait voler en éclats l’équilibre précaire de ce couple pas comme les autres. Une rivalité évidente s’installe entre les deux femmes, qui se manipulent mutuellement dans un jeu de massacre feutré que Todd Haynes filme avec une délectation évidente.
Sans jamais appliquer de jugement moral sur ses personnages – c’est devenu suffisamment rare pour être signalé –, il semble porter un regard distancié à mi-chemin entre la satire camp et le mélodrame dont il a le secret. On ne sait jamais vraiment sur quel pied danser face aux scènes volontairement malaisantes de MAY DECEMBER, appuyées par la musique archidramatique composée par Michel Legrand pour la Palme d’Or LE MESSAGER (Joseph Losey, 1971).
Cultivant l’art constant du décalage, MAY DECEMBER est un objet insaisissable qui trouble longtemps après son visionnage – le face-à-face final chamboule toutes les éventuelles certitudes. Reste aussi la moiteur et la lumière aveuglante de ces images aussi granuleuses que vénéneuses – le chef opérateur n’est autre que Christopher Blauvelt, emprunté à Kelly Reichardt –, et cette réalisation glacée d’une extrême subtilité, évitant les travellings au profit des plans fixes, des plans-séquences et surtout des zooms, le péché mignon de Todd Haynes, dont c’est la quatrième collaboration avec Julianne Moore.
Après SAFE (1995), LOIN DU PARADIS (2002) et I'M NOT THERE (2007), la chouchoute du cinéaste californien offre une nouvelle prestation aussi hallucinante que son personnage. Quant à Natalie Portman, elle livre au moins un monologue d’anthologie face à la caméra, mise en abyme stupéfiante du métier d’actrice et de son image publique de star. Mais on comprend in fine que la vraie star ici est Charles Melton, lui qui se révèle en grand avec ce rôle tragique de grand enfant et d’adulte sacrifié à la jeunesse volée. Alors, chef-d'œuvre ? Chef-d'œuvre.
MAY DECEMBER, disponible sur CANAL+.