Jonathan Glazer avant La Zone d’intérêt : itinéraire d’un cinéaste surdoué
Récompensé cette année par l’Oscar du meilleur film étranger pour son projet choc sur le commandant d’Auschwitz, le réalisateur britannique est à l’honneur sur CINÉ+, qui a l’excellente idée de proposer ses trois premiers films, moins connus du grand public et plus difficilement trouvables, mais qui prouvent tous que Jonathan Glazer est un talent à part du septième art.
Après avoir commencé par réaliser des pubs pour des grandes marques et des clips pour des groupes majeurs des années 1990 (Massive Attack, Blur, Radiohead…), Jonathan Glazer s’est fait remarquer dès son premier long-métrage.
Sorti au tournant du millénaire, SEXY BEAST (2000) est un pur produit de son époque, soit un polar british dans la veine de Guy Ritchie, où des gangsters vulgaires enchaînent les jurons sous le soleil espagnol, en particulier un personnage de psychopathe incarné avec une certaine délectation par un Ben Kingsley à contremploi – qui récoltera une nomination aux Oscars pour le rôle.
On retrouve déjà l’inventivité visuelle et la science du cadrage de Glazer dans cette comédie noire survoltée – qui vient d’être déclinée en série sur Paramount+ – mais le meilleur est encore à venir.
Car en 2004, Jonathan Glazer imagine avec Jean-Claude Carrière le scénario de ce que l’on peut rétrospectivement considérer comme son premier chef-d’œuvre : BIRTH. Une Nicole Kidman alors au sommet de sa carrière y incarne une veuve confrontée à un petit garçon de 10 ans qui affirme être la réincarnation de son mari décédé… dix ans plus tôt.
Film troublant marqué par l’influence de Bergman et Buñuel (excusez du peu), BIRTH est surtout l’œuvre avec laquelle Glazer s’est le plus rapproché de son maître absolu, Stanley Kubrick.
Formellement splendide – la photo du regretté Harris Savides et la musique d’un Alexandre Desplat pas encore célèbre sont inoubliables –, BIRTH est surtout un faux film fantastique qui évoque la question du deuil avec une audace folle. On lui a beaucoup reproché à sa sortie il y a vingt ans, mais on ne peut que s’incliner aujourd’hui devant ce qui est peut-être le plus beau rôle de Nicole Kidman – il suffit pour s’en convaincre de s’arrêter sur la longue scène de l’opéra entièrement centrée sur son visage.
Mais il y a encore mieux. Dix ans plus tard – il lui faudra autant de temps pour réaliser LA ZONE D’INTÉRÊT –, Jonathan Glazer revient avec un film de science-fiction à nul autre pareil, UNDER THE SKIN (2014). Scarlett Johansson y campe l’un de ses rôles les plus perturbants, celui d’une extraterrestre déguisée en femme qui découvre notre monde et s’attaque aux hommes dans les rues de Glasgow.
La bande-originale stridente de Mica Levi – que l’on retrouvera à la baguette dans LA ZONE D’INTÉRÊT – est aussi mémorable que les trouvailles visuelles de Glazer, et pour faire court, on peut dire qu’UNDER THE SKIN est tout simplement l’un des meilleurs films des 25 dernières années, sinon un authentique tour de force sci-fi capable de rivaliser avec la puissance de 2001 : L’ODYSSÉE DE L’ESPACE (Stanley Kubrick, 1968). Rares sont les réalisateurs qui peuvent en faire autant.