Sort Of : qu’iel est belle, cette série pionnière et non-binaire
Présentée en avant-première mondiale au Festival Séries Mania de Lille, cette nouvelle série canadienne a été l’une des sensations de l’automne 2021, en mettant magnifiquement en lumière un personnage principal non-binaire et d’origine pakistanaise.
Comme le chantait Ozzy Osbourne avec Black Sabbath, Sabi est un personnage qui « traverse une période de changements » (going through changes). En tant que non-binaire, iel craint de révéler la vérité sur son identité et son changement d’apparence à sa mère, qui risquerait de ne rien comprendre, au contraire de sa sœur avec qui iel vit en colocation. Les questionnements existentiels de Sabi sont d’ailleurs renforcés par ses origines pakistanaises, sa – géniale – maman control freak et réputée très tradi ayant immigré au Canada. Mais ce n’est pas tout : le personnage joué par Bilal Baig se débat aussi avec deux jobs : barmaid dans un bar queer le soir, iel enfile la journée sa casquette de nounou pour devenir le parent de substitution des deux enfants charmants d’un couple de hipsters débordés dont le père veut le/la virer... Jusqu’au jour où sa femme se retrouve dans le coma.
Un bouleversement qui incite Sabi à reprendre du service auprès de la famille, même si cela se fait au détriment de la proposition alléchante de sa meilleure amie : s’installer en sa compagnie dans ce qui est considéré comme une place forte de la communauté LGBTQIA+ : Berlin. Côté vie sentimentale, Sabi doit aussi faire son deuil de sa relation avec un homme qui ne sait pas très bien où il se situe sur le spectre des orientations sexuelles, mais qui a quand même une fâcheuse tendance à le/la tromper avec des membres de la gent féminine. Bref, Sabi est une personne qui multiplie les transitions dans sa vie, mais la première originalité de Sort Of est déjà de ne pas s’attarder sur la question de son changement de genre, qui est actée dès le premier épisode de la série. Il s’agit bien d’un récit « coming of age » sur le passage à l’âge adulte, mais qui a la bonne idée de rappeler que nous sommes toutes et tous en transition d'une manière ou d'une autre dans notre vie, et ce quelle que soit notre identité sexuelle.
En confiant le premier rôle à un personnage non-binaire, Sort Of devient par la force des choses une œuvre pionnière, puisque c’est la première fois que cette identité de genre se retrouve ainsi mise en lumière dans une série télé. Ce choix salutaire est de surcroit à mettre au crédit de CBC, une chaîne publique canadienne majeure, qui fait même coup double dans la catégorie grande première, puisque Sort Of est aussi la première série canadienne à avoir comme acteur principal, créateur et showrunner une personne à la fois queer et musulmane : Bilal Baig. Ce dernier est une révélation, car Sort Of n’est pas qu’une comédie subtilement politique où l’on prend beaucoup de plaisir à suivre les personnages déambuler dans les rues de Toronto devant la caméra de Fab Filippo, cocréateur de la série et acteur passé par Buffy il y a plus de vingt ans (Scott Hope, c’était lui), avant de faire un passage par la version américaine de Queer as Folk.
Alors que l’on a l’habitude de voir les personnages LGBT être maltraités ou affronter des épreuves terriblement pénibles à encaisser dans la plupart des fictions, Sort Of a l’immense mérité d’assumer un regard moins angoissant et même lumineux parfois, en célébrant la non-binarité de son personnage principal avec une douceur qui donne de l’espoir pour l’avenir. Bien sûr, tout n’est pas rose pour Sabi qui récolte son lot de vexations au quotidien, mais la relative légèreté de la série tranche avec la moyenne dramatique très sombre à laquelle nous sommes habitués. Cela passe évidemment par la drôlerie irrésistiblement attachante des dialogues et des situations, mais aussi par la teinte très colorée de la photographie, qui concourent à la réussite indéniable de cette dramédie repérée par HBO Max aux Etats-Unis.
Coup de coeur Hello, les épisodes 1 à 8 de Sort Of sont à retrouver sur Téva, disponible avec CANAL+.