Cold War, la passion au carré et en noir et blanc
Le noir et blanc a été utilisé à maintes reprises depuis que le septième art est passé à la couleur. Quant au format carré, s'il se faisait rare, il revient de plus en plus avec des films comme The Artist ou des réalisateurs tels que Xavier Dolan. Pour Cold War, Pawel Pawlikowski a judicieusement choisi à la fois ce format et la photographie en noir et blanc.
Depuis le temps que le cinéma est passé à la couleur, beaucoup de réalisateurs ont opté pour un retour au noir et blanc ; on l'a vu au fil de l'Histoire à travers des films aussi différents que Elephant Man (David Lynch, 1980), C'est arrivé près de chez vous (Rémy Belvaux, André Bonzel et Benoît Poelvoorde, 1992), Dead Man (Jim Jarmusch, 1996), City Of Life and Death (Lu Chuan, 2010) ou Tabou (Miguel Gomes, 2012), tous traduisent souvent une forme de dureté dans le propos.
Choix purement esthétique ou façon d'inscrire un récit dans une époque – de La Liste de Schindler (Steven Spielberg, 1994) à La Haine (Mathieu Kassovitz, 1995) en passant par Le Ruban blanc (Michael Haneke, 2009) – beaucoup ont connu un grand succès et sont devenus pour ainsi dire... intemporels. Un film comme La Haine était en phase totale avec son époque. Paradoxalement ou non, avec son noir et blanc réaliste, il semble aujourd'hui bien plus moderne que pléthore d'autres films des années 90 qui, sur le plan esthétique, ont clairement moins résisté à l'épreuve du temps.
Le format carré peut être une façon d'expérimenter, du moins de sortir du classique format cinémascope – rectangulaire et plus proche de la perception humaine. Il s'agit en fait d'un retour vers le passé : le format 1:33 n'est autre que le format natif du cinéma muet (autrement dit le format originel du cinéma tout court). Question mise en scène, son usage permet notamment de créer plus d'intimité, en resserrant le plan sur les visages comme une forme de zoom.
En tant que spectateurs, notre œil est habitué à voir tout l'écran rempli. Réduit en format carré, il semblerait qu'il y ait un trou, un manque ; qu'on ne nous montre pas tout donc qu'on nous cache quelque chose. Pour La Dernière Piste (2010), Kelly Reichardt a justement choisi ce format pour laisser plus de place au hors-champ et ainsi créer davantage de suspense et de tension dramatique. Xavier Dolan l'a utilisé dans Mommy (2014) : en plus de créer une proximité évidente avec les personnages, il peut y avoir cette sensation d'enfermement. A un moment du film, le jeune garçon « ouvre » le format carré comme une fenêtre ; d'un coup, on a l'impression qu'il respire, et nous avec.
The Artist (Michel Hazanavicius, 2011) est quant à lui à la fois en noir et blanc et au format carré : il s'agit d'une évidence en tant qu'hommage et pastiche du cinéma muet. Pawel Pawlikowski utilise lui aussi les deux procédés, mais ce n'est pas du tout pour les mêmes raisons. Après avoir tourné ses documentaires en 16mm dans un format semblable et après son long-métrage de fiction Ida (2014) Cold War reprend cette même esthétique par souci de transposition du réel.
Pour raconter son histoire d'amour folle entre un musicien et une chanteuse située entre la Pologne et la France pendant la guerre froide, le réalisateur polonais comptait passer à la couleur. Puis de se rendre compte que la meilleure palette de nuances se situait entre le noir et le blanc : « A cette période, la Pologne était détruite, les villes étaient en ruine, les gens portaient des vêtements sombres et gris. Montrer ça en couleurs aurait donné un effet carrément faux ». Le format carré, lui, nous rapproche encore plus de cette passion brûlante. Et le film porte alors la patte de Pawel Pawlikowski ainsi que la puissance des grands films intemporels.
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