Annette : 3 ans avant Audiard et Emilia Perez, le triomphe de la comédie musicale de Leos Carax
Lauréat du Prix du jury et du Prix d’interprétation féminine, le nouveau film de Jacques Audiard est évidemment l’un des grands gagnants du dernier Festival de Cannes. Mais en attendant la sortie d’Emilia Perez au cinéma, on a eu envie de revisiter une autre comédie musicale made in France primée à Cannes : Annette, le film déjà culte de Leos Carax.
Comment oublier le choc provoqué par le film d’ouverture du Festival de Cannes 2021 ? Pour beaucoup de festivaliers cette année-là, ANNETTE avait tout de la Palme d’or. Finalement récompensé par un Prix de la mise en scène bien mérité, le premier film de Leos Carax depuis HOLY MOTORS (2012) reste un ovni de génie dont on n’a pas fini de percer les mystères aujourd’hui.
Cet opéra rock scénarisé et mis en musique par un groupe de légende (les Sparks) continue de nous hanter avec sa marionnette qui chante comme un ange (quand sa veilleuse s’allume) et surtout son histoire d’amour maudite entre Marion Cotillard et Adam Driver, couple de cinéma hors du commun. Lui en humoriste de stand-up dont la carrière est sur le déclin – et qui cache de vilains comportements en privé –, elle en cantatrice à la renommée grandissante et à la destinée forcément tragique.
Et tout ça est filmé dans un Los Angeles romantique fantasmé (ah, la scène de la moto qui file à toute allure dans la nuit...) où Leos Carax nous fait rentrer par effraction en brisant le quatrième mur dès un plan séquence d’introduction inoubliable au son de So May We Start…
Fidèle à sa réputation de magicien de la mise en scène, le cinéaste connu aussi pour sa rareté enchaîne pendant près de 2h30 les plans déments plus ou moins baroques – il faut encore saluer le travail de sa directrice de la photographie, Caroline Champetier –, jusqu’à une conclusion terrassante de puissance émotionnelle.
Mais ANNETTE est aussi une réflexion magistrale sur les affres de la parentalité, de la culture de la célébrité et de la société du spectacle en général. Le film est de surcroît en lien direct avec le réel, puisque l’ombre de #MeToo plane largement sur ce scénario où l’ironie des Sparks est tempérée par la noirceur de Leos Carax.
En grande forme, les frères Mael (Ron et Russell) troussent une bande-originale qui aurait mérité de finir aux Oscars – elle a au moins été récompensée aux César. On peut en dire autant des deux acteurs principaux, en particulier Adam Driver, complètement possédé dans son rôle d’artiste toxique, et qui rappelle avec cette comédie musicale qu’il est bien l’un des meilleurs acteurs de sa génération, lui qui était à Cannes cette année pour défendre le très attendu MEGALOPOLIS de Francis Ford Coppola (2024).
Quant à Jacques Audiard, sa première comédie musicale (EMILIA PEREZ) aura fort à faire pour rivaliser avec ANNETTE, mais si un autre réalisateur français peut bien se mesurer à la comédie musicale de Leos Carax, c’est lui.