D’Argent et de Sang, la série scorsesienne de Xavier Giannoli
Librement inspirée de l’enquête du journaliste d’investigation Fabrice Arfi sur l’affaire épique de la fraude à la taxe carbone, D’Argent et de Sang est la toute première série du réalisateur césarisé l’an dernier et fan revendiqué de Martin Scorsese. L’influence du cinéaste américain sur Xavier Giannoli se ressent encore dans cette grande fresque tragique, qui met en scène un Vincent Lindon habité.
On l’appelle l’escroquerie du siècle, et pour cause. Des milliards d’euros de fraude fiscale sur le dos des finances publiques et surtout de la lutte contre le changement climatique. Car pour résumer, cette affaire de 2008-2009 est une gigantesque arnaque à la TVA sur la taxe carbone, ce fameux droit à polluer que les entreprises se rachètent sur un marché financier.
Cette affaire scandaleuse a été abondamment documentée par Fabrice Arfi en 2018 dans un livre bien nommé, D’argent et de sang. Plusieurs protagonistes de cette histoire déjà rocambolesque ont en effet connu une fin tragique, et on comprend donc pourquoi Xavier Giannoli a voulu l’adapter en série, en prenant quelques libertés assumées avec la réalité. Fictifs ou pas, ses personnages possèdent un potentiel romanesque indéniable.
C’est le cas du magistrat incarné par Vincent Lindon, qui se dévoue corps et âme à cette enquête et qui semble en quête de rédemption quasi-religieuse dans sa relation abîmée avec sa fille. La droiture de ce point d’ancrage moral très sec voire ascète contraste violemment avec la vulgarité des escrocs de l’histoire, des personnages que tout oppose en apparence.
Joué par un Ramzy Bedia qui s’éclate manifestement dans le rôle, Fitous est un arnaqueur professionnel très doué pour baratiner et enchaîner les petites combines avec Bouli (David Ayala), son partenaire avec qui il a grandi au sein de la communauté juive tunisienne du quartier de Belleville à Paris.
Mais leur rencontre improbable avec un jeune play-boy des beaux quartiers va changer leur destinée : Jérôme Attias (Niels Schneider) a beau être un trader déjà plein aux as, il a besoin de ressentir le frisson d’excitation de l’illégalité. Et pour s’encanailler et défier sa belle-famille qui le méprise, quoi de mieux que de passer de joueur de poker à gangster ?
Xavier Giannoli s’amuse à filmer les excès détestables de ces personnages avec une certaine gourmandise, qui rappelle les fêtes démesurées de Jordan Belfort dans Le Loup de Wall Street (2013). Et il faut voir comment il découpe son récit, divisé en deux parties bien distinctes. Les six premiers épisodes sont ainsi consacrés à l’ascension – si l’on peut dire – des arnaqueurs, tandis que les six derniers se concentrent sur leur chasse et leur chute.
Une construction scorsesienne que l’on retrouvait déjà dans le dernier film césarisé de Giannoli, Illusions Perdues (2021). On n’est certes plus ici dans une adaptation de Balzac, mais le regard porté par la série sur la société d’aujourd’hui est tout aussi féroce. D’Argent et de Sang chronique des relations et des classes sociales dysfonctionnelles, où l’appât du gain et les frustrations de chacun alimentent un moteur qui mène à la destruction.
Plus globalement, Giannoli brosse aussi un portrait terrible d’une société rongée par l’individualisme et le cynisme, où même un dispositif pensé comme écologique est détourné pour s’enrichir toujours plus. La noirceur de ce monde profondément amoral se retrouve dans la photographie très sombre de la série, dont la réalisation virtuose rappelle aussi que Xavier Giannoli est d’abord un grand metteur en scène de cinéma.
Le format série ne lui permet pas seulement de détailler toutes les ramifications de cette affaire tentaculaire : il est la condition nécessaire pour développer ces personnages complexes, y compris les seconds rôles – néanmoins décisifs – joués par Judith Chemla, André Marcon et Olga Kurylenko. C’est quand, la partie 2 ?
D'Argent et de Sang Partie 1 à partir du 16 octobre, seulement sur CANAL+.
La 2ème partie est à retrouver en 2024.