Le DUNE de David Lynch : film culte, maudit ou mal-aimé ?
Reniée publiquement par son réalisateur, la première adaptation au cinéma du roman de Frank Herbert a connu un destin pour le moins chaotique. À l’occasion de la sortie en salles d’une nouvelle version hollywoodienne imaginée par Denis Villeneuve, TCM Cinéma rediffuse le long-métrage de David Lynch, qui mérite bien d’être (re)découvert, 37 ans après sa sortie.
Quand David Lynch récupère le bébé DUNE au début des années 1980, c’est un jeune réalisateur qui monte, auréolé du succès de son deuxième film, ELEPHANT MAN (1980). Mais adapter le roman de science-fiction le plus vendu de tous les temps, c’est une autre paire de manches. Alors que le gigantisme de l’entreprise a déjà eu raison des projets d’adaptation de Ridley Scott et surtout du Chilien Alejandro Jodorowsky, David Lynch accepte la commande des producteurs italiens Dino et Raffaella De Laurentiis après s’être payé le luxe improbable de dire non à George Lucas pour réaliser LE RETOUR DU JEDI (Richard Marquand, 1983). Plus dingue encore, Lynch n’a alors jamais lu le roman, et la science-fiction n’est pas sa tasse de thé. Peu importe : son DUNE sorti en 1984 est plutôt fidèle à l’œuvre de Frank Herbert, qui a d’ailleurs apprécié le film. Malheureusement, David Lynch n’ayant pas eu droit au final cut, sa version montée est raccourcie de plus d’une heure, ce qui peut rendre le film quelque peu difficile d’accès pour quiconque n’est pas familier du roman publié en 1965. Cela explique entre autres pourquoi DUNE a fait un bide au box-office, alors que ses producteurs avaient mis le paquet sur le budget, pensant tenir le nouveau STAR WARS.
Le hic, c’est que DUNE n’est pas fait pour les enfants : l’intrigue tourne bien autour d’une précieuse ressource (l’épice) que l’on ne trouve que sur une planète désertique constituée de dunes de sable où se cachent des vers géants, mais l’intrigue est nettement plus complexe que cela, et convoque en vrac des thèmes écologiques, religieux, féministes et politiques, avec un jargon tellement ésotérique que le studio a ajouté une introduction explicative et une voix-off au film. Bien évidemment, c’est toute la symbolique du roman de Frank Herbert qui intéresse David Lynch, et ce dernier s’en est donné à cœur joie dans des scènes psychédéliques qui comptent parmi les plus intéressantes du film. Cette imagerie sibylline s’imprime d’autant plus durablement sur la rétine qu’elle est accompagnée d’une bande-originale futuriste qui n’a pas pris une ride, composée par Toto et Brian Eno. Le film est aussi connu pour avoir offert son tout premier rôle à l’acteur Kyle MacLachlan (25 ans), devenu depuis indissociable de David Lynch, puisqu’il a également joué dans BLUE VELVET (1986) et surtout dans la série et le film TWIN PEAKS (CANAL+).
On peut ajouter que les décors signés Anthony Masters – déjà à l’œuvre sur une petite référence, 2001, L'ODYSSÉE DE L'ESPACE (Stanley Kubrick, 1968) – sont complètement fous, mais ces quelques raisons ne suffisent pas à expliquer pourquoi le DUNE de Lynch est aujourd’hui considéré comme un film culte par des hordes de fans rassemblées sur le web. Désavouée par son réalisateur, cette version jouit du statut d’œuvre maudite, et ses kitscheries 80’s – comme Sting portant une sorte de string de l’espace – font aujourd’hui notre bonheur, dans un cinéma hollywoodien de plus en plus propre, voire aseptisé. C’est l’écueil que doit éviter la nouvelle version de Denis Villeneuve, mais le Canadien est le cinéaste idéal pour ce projet, lui qui a déjà parfaitement négocié un autre projet suicidaire dans le domaine de la science-fiction : BLADE RUNNER 2049 (2017).
Il avait prouvé à l’époque qu’on pouvait encore faire un blockbuster contemplatif à notre époque, mais son DUNE de 2021 devra réaliser de bien meilleures performances au box-office s’il veut pouvoir réaliser la suite qui est prévue pour boucler l’intrigue de son adaptation, ce que David Lynch n’a évidemment jamais pu faire. Villeneuve a déjà pour lui un casting hallucinant, puisque l’on retrouve dans le film – excusez du peu – Timothée Chalamet, Rebecca Ferguson, Oscar Isaac, Josh Brolin, Zendaya, Javier Bardem, Dave Bautista, Charlotte Rampling et Jason Momoa. Avec un budget de 165 millions de dollars, le réalisateur a aussi pu se payer les effets spéciaux pratiques qu’il affectionne tant, tout en tournant dans le désert de Jordanie. Mais s’il y a bien une chose que Denis Villeneuve aime encore plus que le sable, c’est le roman de Frank Herbert. Il promet qu’il est revenu à la source de l’univers de DUNE, mais on attend de voir comment il retranscrit visuellement le foisonnement de ce texte. En espérant qu’il ne s’est pas montré plus sage que David Lynch.