HEROIC LOSERS, le OCEAN'S ELEVEN argentin
Avec ses personnages attachants et son message politique implicite, ce film de casse du réalisateur argentin Sebastián Borensztein a été loué à sa sortie en 2019 pour le vent de fraîcheur qu’il faisait souffler sur le genre. Alors si le plantage récent d’OCEANS 8 (Gary Ross, 2018) vous reste encore en travers de la gorge, un visionnage de HEROIC LOSERS s’impose.
Dans un petit village pauvre d’Argentine, un couple et leur ami anarchiste fan de Mikhaïl Bakounine décident de racheter une coopérative agricole qui a fait faillite il y a longtemps, pour la remettre en route et offrir du travail à des dizaines d’habitants de la ville. Ils se cotisent avec toutes leurs connaissances pour financer le prix d’achat qui s’élève à 300 000 dollars. Mais juste après avoir déposé une grande partie de la somme à la banque afin d’obtenir un prêt, les personnages apprennent que le gouvernement argentin met en place des mesures drastiques pour lutter contre la crise économique : c’est le corralito, il devient impossible de retirer des dollars des comptes bancaires.
Et ce n’est pas le pire. Juste avant cette décision, un avocat véreux au courant de ce qui allait se passer a pu obtenir un crédit auprès de la banque et retirer tous les dollars prévus pour l’achat de la coopérative. Evidemment, les « HEROIC LOSERS » ne comptent pas en rester là, et ils entreprennent de récupérer leur argent, caché dans un coffre-fort ultra-sécurisé. Ils n’y connaissent rien en casse, mais leur solidarité et leur débrouillardise à toute épreuve seront peut-être suffisantes pour réparer l'injustice et reprendre ce qui leur revient de droit, même si tout ne se passe évidemment pas comme prévu.
Rôle principal de HEROIC LOSERS, il est l’un des rares acteurs argentins connus à l’étranger, et le public amateur de cinéma international a donc souvent l’impression de le voir dans tous les films du pays projetés en France. Autrement dit, Ricardo Darín nous semble être au cinéma argentin ce que Gérard Depardieu était au cinéma français pour le reste du monde à une époque. La comparaison n’est pas absurde : comme Depardieu, Darín est une star dans son pays et une gueule reconnaissable partout avec son franc-parler, qui collectionne depuis vingt ans les grands rôles et les récompenses. Mais la carrière de Ricardo Darín n'a pas été si simple. Après de nombreuses années passées à la télévision dans des télénovelas, il change de dimension au tournant de l’an 2000.
Le film LES NEUF REINES (Fabian Bielinsky, 2000) lui offre un rôle d’escroc dans une Argentine en grande difficulté économique, mais c’est avec LE FILS DE LA MARIÉE (Juan José Campanella, 2002) qu’il confirme véritablement auprès du public international. Cette comédie dramatique est un grand succès, et elle est nommée à l’Oscar du meilleur film étranger. Il participe finalement à un autre film du même réalisateur qui remporte ce prix en 2010 avec DANS SES YEUX (Juan José Campanella, 2009), un drame policier qui se déroule pendant la période de la dictature militaire en Argentine (1976-1983). Il enchaîne maintenant les rôles dans les films indépendants acclamés par la critique, comme la comédie noire à sketches LES NOUVEAUX SAUVAGES (Damián Szifrón, 2014), plutôt que de succomber aux sirènes d’Hollywood.
HEROIC LOSERS n’est pas seulement un film conscient de ses influences : il intègre l’une d’entre elles à son intrigue. Dans une scène, le personnage principal trouve comment résoudre un des défis du casse en regardant une cassette vidéo du film COMMENT VOLER UN MILLION DE DOLLARS (William Wyler, 1966). On voit ainsi à travers ses yeux la scène où Audrey Hepburn et Peter O’Toole déclenchent plusieurs fois l’alarme d’un musée parisien jusqu’à ce que ses gardiens décident de la désactiver. Mais le film américain auquel on pense le plus en regardant HEROIC LOSERS, c’est bien sûr OCEAN’S ELEVEN (Steven Soderbergh, 2001) et ses suites, où on retrouve un « ensemble cast » de rêve avec notamment George Clooney, Brad Pitt et Matt Damon qui unissent leurs forces pour voler les casinos ultra-sécurisés du personnage joué par Andy Garcia.
Si on ne retrouve évidemment pas des stars hollywoodiennes comparables dans HEROIC LOSERS, le film argentin reprend l’idée d’un groupe de personnages très différents avec des spécialités bien précises. Mais il semble surtout s’amuser à parodier le sérieux et la classe des films de Soderbergh, car ses personnages ne sont pas vraiment des professionnels mais plutôt de gentils amateurs parfois un peu bêtes, et qui s’assument comme tels (le titre original du film peut être traduit par « L’odyssée des idiots »). HEROIC LOSERS prouve en tout cas que la recette d’un bon film de casse n’est pas réservée aux grosses productions américaines.