Aller au contenu principalAller à la recherche

L’Enlèvement : après la mafia, l’Église dans le viseur de Marco Bellochio

Posté par Alexis Lebrun le 29 mai 2024

Plus en forme que jamais, le cinéaste italien octogénaire s’attaque cette fois à un épisode peu glorieux de l’histoire de la papauté. Oublié de manière incompréhensible par le jury cannois l’an dernier, L’Enlèvement n’en demeure pas moins un nouveau tour de force du maestro Marco Bellochio.

Un scandale mondial

Quand Steven Spielberg prévoit d’adapter lui-même une histoire vraie, c’est généralement une bonne indication du potentiel romanesque des faits en question. Fort heureusement pour Marco Bellochio, la légende hollywoodienne a in fine préféré passer son tour cette fois, et c’est donc le réalisateur italien qui a eu la lourde tâche de porter à l’écran l’affaire Mortara, un scandale mondial pourtant méconnu aujourd’hui.

Il faut dire qu’elle est difficile à croire, même pour l’époque : nous sommes en 1858, et un enfant (Edgardo Mortara) est arraché à sa famille juive du jour au lendemain, sous prétexte qu’il aurait été secrètement baptisé à la va-vite par sa nounou lorsqu’il était bébé. Un geste qui suffit à faire de lui un chrétien aux yeux de la papauté, qui a alors autorité sur la ville de Bologne où le malheureux Edgardo habite.

Le crépuscule d’un pape

Ni une ni deux, le jeune garçon doit dire adieu à ses parents et reçoit l’enseignement catholique obligatoire au plus près du pape de l’époque, l’affreux Pie IX représenté ici comme une figure à la fois mauvaise et guignolesque, car arc-boutée sur un pouvoir temporel qui s’effrite irrémédiablement – l’affaire Mortara se déroule au moment du Risorgimento, l’unification italienne qui va bientôt englober les Etats pontificaux et donc Rome.

Marco Bellocchio a beau avoir dépassé les 80 ans, il reste un cinéaste très politique qui ne supporte pas les injustices. L’Église catholique est donc la dernière institution toute-puissante dont il met en scène les abus, et comme avec la mafia dans LE TRAÎTRE (2019), il le fait encore ici avec une certaine virtuosité.

Somptueuse reconstitution visuelle qui impressionne à chaque plan – il a fait une razzia sur les prix techniques aux David Di Donatello, les César italiens –, L’ENLÈVEMENT prend souvent des allures d’opéra crépusculaire, dont le penchant baroque est notamment renforcé par la musique assourdissante de Fabio Massimo Capogrosso.

Une leçon encore tristement d’actualité

Adepte d’une ironie assez mordante dans sa façon de représenter les rituels religieux les plus grotesques – comme cette scène improbable où Edgardo doit dessiner des croix par terre… avec sa langue –, Bellocchio ose même des séquences oniriques ouvertement blasphématoires, quand il n’est pas occupé à dépeindre l’horreur de l’antisémitisme ordinaire de la papauté de l’époque.

La manière dont il filme les tiraillements impossibles d’Edgardo – qui devient étranger à sa propre famille et à sa religion de naissance, jusqu’à une scène finale qui soulève le cœur – en dit aussi beaucoup sur la capacité d’embrigadement d’un fanatisme qui broie les individus et leurs croyances pour les transformer en fidèles « soldats de Dieu ». Une leçon terrifiante malheureusement plus que jamais d’actualité.

------------------------------------------------------------------------------------------------------

Toutes les vidéos cinéma, films et émissions sont disponibles sur myCANAL

Suivez-nous sur :

Facebook

Twitter

Instagram