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Avec LE TRAÎTRE, Marco Bellocchio signe son grand film sur la mafia

Posté par Alexis Lebrun le 23 novembre 2020

Plus de 50 ans après ses débuts, le réalisateur italien n’a rien perdu de sa subversivité. Dans son dernier long-métrage, il s’attaque pour la première fois au genre archi-rebattu du film de mafia, et livre une vision singulière qui tranche avec les codes hollywoodiens. LE TRAÎTRE a beau avoir été injustement snobé par le jury du dernier Festival de Cannes, c’est bien l’un des meilleurs films de l’année 2019.

L’histoire vraie du premier pentito (repenti)

Ce n’est ni un héros ni un antagoniste. Tommaso Buscetta (brillamment interprété dans le film par Pierfrancesco Favino) a été l’un des parrains de Cosa Nostra avant de « trahir » la célèbre mafia italienne, et c’est son parcours que Marco Bellocchio a décidé de retracer dans LE TRAÎTRE. Mais contrairement à certains grands classiques du genre comme LES AFFRANCHIS (Martin Scorsese, 1990), le film se désintéresse de l’ascension de son personnage principal pour mieux montrer la chute de l’organisation à laquelle il a appartenu. LE TRAÎTRE fait commencer son intrigue au début des années 1980 : Tommaso Buscetta est exilé au Brésil car le clan Corleone troue la peau de ses rivaux, et deux des fistons y passent alors qu’ils n’avaient aucun rôle dans la mafia.

Buscetta devient animé par un désir de vengeance, et pour ne rien arranger, il est arrêté et torturé par les autorités. Tout cela le conduit à prendre la décision la plus importante de sa vie : servir sur un plateau l’organigramme et les crimes de Cosa Nostra au célèbre juge Giovanni Falcone. Les échanges entre ces deux personnages-clés occupent une partie importante dans le film, de même que le procès ahurissant de Palerme dans lequel le témoignage de Buscetta permettra de faire tomber des centaines de mafieux, malgré les conditions ubuesques dans lesquelles il s’est tenu.

Une histoire de famille(s)

Dans son premier film, LES POINGS DANS LES POCHES (Marco Bellocchio, 1965), le réalisateur italien prenait déjà pour cible ce qui deviendra l’une de ses thématiques de prédilection : la famille. 54 ans après, cette obsession reste évidemment au cœur de ce film sur la mafia, qui confirme comme souvent qu’il vaut mieux ne pas mélanger les affaires criminelles avec celles de la famille. Dans LE TRAÎTRE, le clan Corleone l’apprend à ses dépens quand Tommaso Buscetta décide de se retourner contre lui parce qu’ils s’en sont pris à ses enfants, ce qui constitue pour lui une violation impardonnable du code d’honneur de l’organisation. Notre personnage principal ne se reconnaît plus dans les valeurs de la mafia et considère d’ailleurs que c’est cette dernière qui a trahi, et non lui.

Sur le plan familial aussi, la fin de vie de Buscetta est ambigüe : il peut enfin rejoindre ses proches après le procès, mais leurs relations sont irrémédiablement affectées par ses actions passées, et ils vivent dans la peur constante d’être démasqués en raison de sa fausse identité. Et comme dans LE PARRAIN 3 (Francis Ford Coppola, 1990), après avoir été rongé pendant un temps par la culpabilité de laisser beaucoup de cadavres derrière lui, le personnage principal meurt naturellement et paisiblement. Pour autant, les deux films restent assez éloignés.

Une déconstruction du mythe mafieux créé par Hollywood

Car comme GOMORRA (Matteo Garrone, 2008) l’a montré, le cinéma transalpin ne voit pas forcément l’histoire mafieuse de l’Italie de la même façon que les réalisateurs américains. Pour le dire autrement, LE TRAÎTRE et GOMORRA proposent une vision beaucoup plus réaliste voire documentaire de la mafia italienne, par opposition à l’héroïsation qui peut parfois se dégager des mafieux les plus célèbres du cinéma hollywoodien, comme Michael Corleone dans LE PARRAIN (Francis Ford Coppola, 1972), Henry Hill dans LES AFFRANCHIS ou Sam Rothstein dans CASINO (Martin Scorsese, 1995). Ce n'est d’ailleurs pas un hasard si Bellocchio lui-même assume cette différence : il considère par exemple que le film de Coppola – tout chef d’œuvre qu’il est – offre un point de vue 100% américain sur les immigrés siciliens et la mafia.

Et alors que des personnages de mafieux sanguinaires comme Tony Montana dans SCARFACE (Brian De Palma, 1983) sont devenus des icones de la pop culture, Tommaso Buscetta ne sera jamais un héros. Le film le montre, il est toujours largement considéré comme une balance en Italie, et LE TRAÎTRE ne cache pas non plus sa part d’ombre, jusqu'à la scène finale. De même, les mafieux accusés lors du procès sont enfermés dans des cages, où ils ont un comportement digne des animaux sauvages d’un zoo. À l’inverse, s’il y a bien un seul héros dans le film, c’est celui dont on voit le spectaculaire assassinat préparé minutieusement : Giovanni Falcone, le « martyr de la justice ».

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