D’Argent et de Sang : 5 raisons de voir la série de Xavier Giannoli sur la fraude à la taxe carbone
Attendue comme l’un des événements de l’automne, cette nouvelle Création Originale en deux parties ne manque pas d’arguments. Voici donc pourquoi il faut se plonger dans les douze épisodes de D’Argent et de Sang, une série ambitieuse comme pas deux.
Vous avez peut-être déjà entendu parler de l’affaire de la fraude à la taxe carbone. Cette escroquerie, souvent qualifiée d’arnaque du siècle, a été racontée en 2018 dans un livre du journaliste d’investigation Fabrice Arfi, nommé D’Argent et de Sang. Cette enquête a servi de base à la série de Xavier Giannoli, qui a fait le choix de prendre quelques distances avec les faits afin de bénéficier de davantage de liberté créative.
Cela étant, sa version de D’Argent et de Sang reste évidemment fidèle au cœur de cette affaire, alliance improbable entre deux petits escrocs ayant grandi ensemble à Belleville en faisant des coups, et un trader de la haute société qui adore le poker et défier les bonnes manières du milieu coincé dans lequel il évolue.
À eux trois, ils se lancent dans une escroquerie gigantesque sur la TVA des quotas carbone imaginés en 2005 pour pénaliser les entreprises les plus polluantes. L’affaire fera perdre des milliards aux finances publiques, mais ce n’est qu’un aspect de cette histoire de dingue, puisque plusieurs de ses personnages ont très mal fini, d’où le titre du livre et de la série.
Au-delà de son intrigue de polar, la série peut donc s’appuyer sur des protagonistes qui captivent par leur dimension romanesque. C’est d’abord le cas de Simon, le héros joué par Vincent Lindon, un magistrat déterminé à mener son enquête à bien, quitte à y passer sa vie. Mais ce personnage obsessionnel et en apparence irréprochable a commis des erreurs avec sa fille toxicomane, et il semble à la recherche d’une forme de rédemption religieuse.
Autant dire que cette figure d’autorité morale tranche nettement avec les escrocs sur qui il enquête. Avec une assurance hors du commun, Fitous (Ramzy Bedia) ment comme il respire pour arnaquer tout le monde avec son complice de toujours, Bouli (David Ayala).
Ils pensent avoir trouvé le gros poisson parfait avec Jérôme Attias (Niels Schneider), mais ce dernier n’est pas qu’un gros fêtard friqué à la vulgarité assumée, c’est un danger motivé par un fort désir de revanche familiale. Et ce ne sont là que les personnages principaux d’une série qui ne manque pas de figures tragiques.
Scénariste et réalisateur de cette adaptation, Xavier Giannoli n’est pas n’importe qui. C’est tout simplement l’un des cinéastes qui comptent le plus en France ces vingt dernières années.
De son court-métrage palmé à Cannes en 1998 (L’Interview) à ses triomphes sur les films d’époque Marguerite (2015) et Illusions Perdues (2021) en passant par ses excellents premiers longs-métrages (Les Corps impatients en 2003, Quand j’étais chanteur en 2006 et À l’origine en 2009), Xavier Giannoli est à la tête d’une filmographie qui impressionne.
Habitué des nominations aux Césars, où il a été récompensé l’an dernier, sa réalisation sur sa première série est à la hauteur de ses standards au cinéma. Grand admirateur de Martin Scorsese, il n’en a jamais été aussi proche que sur ce projet, où il n'hésite pas à filmer avec panache et même un certain sens du spectacle les excès décadents d’une civilisation qui court à sa perte, façon Le Loup de Wall Street (2013).
Pour sa première série, Xavier Giannoli a pu compter sur un casting qui n’a rien à envier à ceux de ses films. Dans le rôle principal, Vincent Lindon est comme un poisson dans l’eau, lui qui incarne très régulièrement des rôles en phase avec sa conscience politique. Face à lui, Ramzy Bedia semble s’amuser comme un petit fou dans la figure tragi-comique du petit escroc séfarade, à mi-chemin entre drame et comédie.
Idem pour Niels Schneider, appelé en remplacement de Gaspard Ulliel, et survolté en jeune loup prêt à tout pour s’enrichir et en faire voir à son beau-père, incarné par André Marcon (Marguerite), parfait en patriarche ashkénaze tradi dont le royaume familial menace de s’effondrer.
Du côté des personnages féminins, Judith Chemla (Camille redouble) en impose en mère courage fidèle à un mari qui se prend de passion pour la vie de gangster, tandis que l’ancienne James Bond girl Olga Kurylenko assure en mauvaise fille tentatrice qui fraye avec les mafieux. Enfin, Yvan Attal vaut le détour en escroc dandy exilé en Israël et informateur du magistrat joué par Vincent Lindon.
Les faits relatés dans la série ont beau dater des années 2008-2009, D’Argent et de Sang se frotte à des thématiques plus actuelles que jamais : la gravité du réchauffement climatique et l’inadéquation des mesures prises par les gouvernements pour lutter contre, une économie mondiale devenue folle, la persistance des inégalités sociales, l’évasion fiscale en bande organisée, et plus globalement l’amoralité totale d’une époque nihiliste où même une cause comme l’environnement devient un moyen de satisfaire un appât du gain insatiable.
Dans la lignée de l’adaptation de Balzac réalisée par Xavier Giannoli et César du meilleur film l’an dernier (Illusions Perdues, 2021), la série porte donc un regard assez impitoyable et sombre sur un monde qui l’est tout autant.
D'Argent et de Sang Partie 1 à partir du 16 octobre, seulement sur CANAL+.
La deuxième partie est prévue pour 2024.