Avec son film sur Pierre et Marthe Bonnard, Martin Provost revisite la figure de la muse
BONNARD, PIERRE ET MARTHE, annonce la couleur dès son titre : il ne s’agit pas juste d’une biographie du peintre Pierre Bonnard, artiste postimpressionniste de la première moitié du XXème siècle, mais bien d’un récit du tandem qu’il formait avec son épouse et muse, Marthe Bonnard, à ses côtés pendant près de cinquante ans.
Décryptant une relation qui a parfois pu être jugée par ses contemporains comme difficile, le réalisateur Martin Provost documente les liens parfois complexes qui peuvent se nouer entre un artiste et son modèle, à la fois compagne et source d’inspiration. BONNARD, PIERRE ET MARTHE, est aussi, évidemment, l’histoire d’amour d’un couple qui a su transcender les années, en dépit des aléas de leur relation, marquée également par les infidélités du peintre. “Toutes ces grandes histoires ne se passent pas seules” confie le réalisateur. “Derrière, il y a beaucoup de choses, et bien souvent une femme”.
LA BONNE ÉPOUSE, qui suivait le destin d’une école pour ménagères avant mai 68 ; VIOLETTE, qui retraçait le parcours de l’écrivaine avant-gardiste Violette Leduc ; SÉRAPHINE, biographie lumineuse d’une femme de ménage devenue peintre autodidacte, qui lui avait valu le César du meilleur film en 2009… Une chose est sûre, Martin Provost aime raconter des histoires de femmes, et de femmes au tournant de l’émancipation.
Avec BONNARD, PIERRE ET MARTHE, le réalisateur s’intéresse de nouveau à un personnage trouble, au destin difficile. “Marthe [de son vrai nom, Maria Boursin] a menti sur son identité” rappelle le réalisateur. “Elle s’est fait passer pour une princesse italienne ruinée”. En réalité originaire d’une famille très modeste et ayant fui une enfance difficile, Marthe est donc bien plus qu’une simple muse, et porte en elle une trajectoire complexe, marquée par le transfuge de classe mais aussi par le mensonge -une histoire qui, selon Martin Provost, se retrouve dans les tableaux de son mari.
“Les yeux de Marthe étaient flous, comme si Pierre y avait passé son doigt pour les rendre vagues et indéfinissables” analyse-t-il après avoir revu une de ses toiles. “C'est là que je me suis dit que je n’allais pas raconter l’histoire de Marthe mais celle du couple. Parce que le mensonge de Marthe sur ses origines sociales, sur ce qu’elle était, sa famille, transpirait soudain dans les portraits qu'il avait faits d'elle, comme s'il avait cherché toute sa vie à percer son mystère”.
Si la postérité de Pierre Bonnard, qui a connu le succès de son vivant, a pu être sujette à des débats -certains lui reprochant des sujets trop bourgeois tandis que d’autres voient dans son oeuvres et ses couleurs les prémisses d’un art moderne annonçant les tableaux d’artistes comme Rothko, celle de sa femme est également au centre du film.
Car Marthe Bonnard, elle aussi, a été peintre. “J’ai été contacté par Pierrette Vernon, sa petite nièce”, raconte Martin Provost. “Elle voulait que je réalise un film sur sa grand-tante. Elle trouvait qu'elle n’avait pas une juste place dans l’histoire de l'art. À l’époque, je n’avais pas du tout envie de refaire un film sur un peintre, mais je suis quand même allé la voir chez elle. C'est là qu'elle m'a montré un tableau de Marthe. Ce qui m’a frappé, c’était la ressemblance avec Séraphine, une sorte de parenté”. Comme le film consacré à cette dernière, qui avait permis de revaloriser le travail de Séraphine de Senlis, BONNARD, PIERRE ET MARTHE, remet également au goût du jour l'œuvre de Marthe. Alors que le film est projeté à Cannes en 2023, le musée Bonnard au Cannet lui organise ainsi une exposition pour la première fois.
BONNARD, PIERRE ET MARTHE, disponible sur CANAL+.