Pourquoi The White Lotus (OCS) est la série phénomène de l’été
Apparue discrètement sur nos écrans au milieu du mois de juillet, la série de Mike White a converti au fil des semaines un nombre grandissant de fans. À tel point qu’avant même la diffusion du dernier épisode, HBO a renouvelé The White Lotus pour une deuxième saison. Retour (avec spoilers) sur ce qui est incontestablement l’une des meilleures surprises de l’année en matière de séries.
D’abord et avant tout, The White Lotus est une satire sociale qui réussit une prouesse : nous rendre accros à des personnages presque tous détestables. Les clients de l’hôtel qui sert de cadre à la série représentent différentes catégories d’américains privilégiés, et ce qui frappe une fois la série terminée, c’est (ATTENTION SPOILER) à quel point ils ont finalement tous été épargnés par rapport aux employés à leur service. Parmi ces derniers, le gérant de l’hôtel est mort, le serveur hawaïen a été arrêté, la jeune mère a disparu de la circulation et la masseuse a vu son rêve d’indépendance se briser. Quel contraste avec le destin de Shane, meilleure évocation possible du privilège blanc, puisque cet horrible parangon de la masculinité toxique se sort du meurtre d’Armond sans être inquiété le moins du monde. Celui qui est aussi un piètre mari parvient même contre toute attente à conserver son emprise sur sa pauvre femme, tellement rabaissée qu’elle n’ose pas renoncer au confort financier que ce mariage malheureux lui apporte.
Et que dire de Tanya, qui après avoir été sauvée par Belinda, la jette comme une vieille chaussette sans imaginer un seul instant que son comportement est déplacé ? Quant à Olivia, la jeune peste de la génération Z, elle se distingue par le décalage entre son discours progressiste et la manière dont elle reproduit l’attitude de ses parents : elle ne veut surtout pas renoncer à ses privilèges, et non contente de désirer tout ce que son amie noire Paula possède, elle l’arbore comme un accessoire et un gage de crédibilité auprès d’autrui. Mais la force de Mike White, ce n’est pas seulement de manier avec une aisance folle des thèmes d’actualité brûlants (#MeToo, les effets de la colonisation, le péril climatique…) pour les intégrer de façon pertinente et naturelle aux dialogues et aux situations. Le créateur du chef-d’œuvre Enlightened (OCS) est aussi capable de rendre ses personnages plus ambigus en nous forçant à nous identifier à certains de leurs travers. Car dans une certaine mesure, les comportements de privilégiés montrés par la série (vis-à-vis notamment du tourisme de masse, de la consommation des ressources et de l’exploitation d’autrui) sont aussi les nôtres.
On ne sait même pas par où commencer, tant The White Lotus a permis à des acteurs parfois injustement méconnus d’accéder à une reconnaissance méritée. C’est le cas de Murray Bartlett, brillantissime dans le rôle de ce gérant d’hôtel qui retombe dans ses travers et qui pète les plombs face aux caprices de ses clients. Avec sa moustache frétillante, le sourire Colgate qu’il arbore en toutes circonstances (même lorsque sa patience est mise à rude épreuve), ses mouvements chorégraphiés, la façon exquise dont il prononce « Pineapple Suite », et au moins deux scènes cultes (toutes les deux liées au même orifice), l’acteur australien a trouvé le rôle de sa vie.
Si la prestation de l’expérimentée Jennifer Coolidge en vieille riche célibataire et névrosée a aussi été très justement saluée, il faut parler d’Alexandra Daddario. À 35 ans, l’actrice new yorkaise trouve de loin son meilleur rôle ici, en révélant une palette et une subtilité de jeu hallucinante avec son personnage de femme mariée en proie au doute sur son couple et la qualité de son travail. Face à elle, Jake Lacy excelle pour incarner le jock blindé et tête à claques qui pense que tout lui est dû. Ses passes d’armes avec Armond et Rachel sont un régal de cringe comedy (humour malaisant), registre dans lequel le créateur et scénariste de la série Mike White a toujours excellé, et qui atteint avec The White Lotus un niveau que l'on voit rarement sur le petit écran.
Il serait criminel de terminer sans rendre hommage à deux des plus gros points forts de la série, qui ont d’ailleurs été abondamment commentés sur les réseaux sociaux par les fans, au milieu des nombreux mèmes hilarants nés des mimiques des acteurs. On veut bien sûr parler de la musique et du générique d’ouverture de The White Lotus. Composée par l’artiste d’origine chilienne Cristobal Tapia de Veer, la musique est omniprésente dans la série, et différents thèmes tous aussi entêtants les uns que les autres viennent rythmer les scènes et surtout renforcer le sentiment d’inquiétude et la tension de plus en plus palpable qui planent sur l’intrigue jusqu’à sa résolution. À l’aide d’instruments peu communs et d’étranges sons et voix, le compositeur déjà remarqué sur Utopia, Black Mirror (Netflix) et The Third Day (OCS) a créé une bande-originale qui tord des influences exotiques pour coller parfaitement à l’ambiance pesante et sinistre de la série.
Même chose pour le sublime papier peint animé qui orne les crédits au début de chaque épisode, et où l’on trouve des références à plusieurs personnages au milieu des quatre suites de l’hôtel qui sont représentées. Plus globalement, le soin apporté à ces éléments vient rappeler que The White Lotus a aussi les atours d’une grande série HBO à l’ancienne. Les images d’Hawaii sont magnifiques, et la photographie jaunie de Ben Kutchins (Ozark) a un grain bien à elle, mais ce sont surtout les détails qui attirent le plus l’attention, notamment certains accessoires luxueux et lourds de sens portés par les personnages, ou le titre hautement symbolique des livres qu’ils tiennent dans les mains (lire est un grand et gros mot quand on se soucie autant des apparences). Et vous avez sûrement remarqué aussi que le travail de la production sur le design sonore est tout à fait remarquable... Bref, The White Lotus vient rappeler à tout le monde qui est le patron des séries et pourquoi, et on espère que la série signée HBO ne sera pas oubliée aux Emmy Awards l’année prochaine.
The White Lotus épisodes 1 à 6, en intégralité sur OCS, disponible avec CANAL+.