Quelle est cette perle québécoise qui a grillé la politesse à Oppenheimer aux César ?
Sacré meilleur film étranger à la surprise générale en février dernier, le troisième long-métrage de Monia Chokri n’a pourtant absolument pas volé son prix. Alors, Simple comme Sylvain est-il vraiment meilleur que le blockbuster de Christopher Nolan ? On a notre avis sur la question.
C’était entendu. Le 23 février dernier, Christopher Nolan devait recevoir un César d’honneur, et il était archifavori pour remporter le César du Meilleur film étranger avec OPPENHEIMER, son biopic phénomène qui a raflé toutes les récompenses, des Golden Globes aux Oscars en passant par les BAFTA. Oui mais voilà, à force de se concentrer sur le roi du box-office, on en a un peu oublié qu’il y avait comme toujours une concurrence très rude dans cette catégorie, où l’on retrouvait notamment l’excellent LES FEUILLES MORTES (Aki Kaurismäki, 2023).
Mais quand Golshifteh Farahani a ouvert l’enveloppe sur la scène de l’Olympia, elle n’a pu contenir sa surprise. Et les premiers mots de Monia Chokri ont été dans le même sens, puisque la réalisatrice québécoise a choisi de s’excuser avec humour auprès de Christopher Nolan. Elle est trop prévenante : SIMPLE COMME SYLVAIN n’est pas exactement une petite comédie romantique légère comme son titre pourrait le laisser penser. Avec ce film, Monia Chokri pose en réalité son regard sociologique acéré sur la mécanique impitoyable du couple dans nos sociétés, comme un écho lointain d’ANATOMIE D’UNE CHUTE (Justine Triet), encensé comme lui à Cannes l’an dernier.
Elle met donc en scène la rencontre entre deux extrêmes : Sophia (Magalie Lépine-Blondeau de LA NUIT OU LAURIER GAUDREAULT S'EST RÉVEILLÉ sur CANAL+), une prof de philo dont le couple bat sérieusement de l’aile, et Sylvain (Pierre-Yves Cardinal de TOM À LA FERME), un charpentier engagé pour rénover leur chalet dans la forêt. Avec son physique de bûcheron et sa virilité exacerbée, ce dernier réveille la libido enfouie de Sophia, qui s’abandonne volontiers dans ses bras.
Monia Chokri filme les scènes de sexe du point de vue de son héroïne et le désir féminin comme personne, mais rapidement la cinéaste québécoise nous ramène à la dure réalité de nos conditionnements sociaux. Sophia et Xavier n’ont à peu près rien en commun parce qu’ils viennent de milieux trop différents. Elle a l’habitude des grands dîners entre intellos, quand lui a toujours évolué dans un milieu populaire.
Même si Sophia voudrait fermer les yeux sur les fautes de syntaxe de Sylvain, c’est plus fort qu’elle, elle ne peut pas s’empêcher de le reprendre. Et quand elle réussit à faire abstraction, les rencontres avec son entourage se chargent toujours de lui rappeler implicitement la cruauté de l’homogamie : qui se ressemble s’assemble, et les couples issus de milieux différents sont rares.
Les jolies scènes romantiques vintage – filmées par André Turpin, le chef opérateur de Xavier Dolan, avec qui Monia Chokri a déjà tourné plusieurs fois – aux tons chauds et au grain épais ne font qu’accentuer le contraste entre la pureté du sentiment amoureux et la dureté du système du couple, où l’on n’échappe jamais vraiment aux injonctions économiques et sociales.
Comme dans son premier long-métrage, LA FEMME DE MON FRÈRE (2019), l’écriture comique de Monia Chokri brille particulièrement dans des scènes épiques de repas familiaux ou amicaux, d’un naturel et d’une précision qui évoquent le cinéma de Julie Delpy.
Fine observatrice des rapports de domination et de genre, la scénariste et réalisatrice québécoise livre aussi dans SIMPLE COMME SYLVAIN une réflexion pertinente sur la pression de la maternité que subissent les femmes, achevant de brosser avec Sophia un beau portrait de femme complexe comme on aimerait en voir plus souvent au cinéma. N’est-ce pas Christopher Nolan ?