THE FRENCH DISPATCH, l'hommage de Wes Anderson au journalisme et à la France
La sortie d’un nouveau film du cinéaste texan est toujours un événement, mais c’est d’autant plus vrai du dernier en date. Tourné en France en doté d’un casting insensé qui aligne les stars par dizaines, THE FRENCH DISPATCH est surtout un objet cinématographique aussi sublime que touchant, venu cimenter la réputation de Wes Anderson : celle d’un réalisateur définitivement à part.
Pendant le tournage de THE FRENCH DISPATCH, Wes Anderson a déclaré dans une interview que « l’histoire n’est pas simple à expliquer ». On ne peut que lui donner raison, mais disons simplement qu’il s’agit d’un film à sketches, découpé en trois histoires distinctes qui correspondent chacune à un article d’un magazine fictif (THE FRENCH DISPATCH donc) écrit par des journalistes américains installés dans une ville elle aussi imaginaire, Ennui-sur-Blasé. Celle-ci évoque le Paris d’autrefois tel que le fantasme le réalisateur texan, notamment dans le cinéma de Jacques Tati par exemple, mais THE FRENCH DISPATCH a en réalité été tourné à Angoulême, si bien que certains ont tôt fait d’y voir le premier film français de Wes Anderson (cocorico). Mais revenons-en à ces trois chapitres. Après une brève mais géniale présentation d'Ennui-sur-Blasé réalisée à vélo par Owen Wilson, Tilda Swinton nous raconte l’histoire d’un peintre un peu allumé (Benicio del Toro) qui peint un « chef-d’œuvre en béton » pendant sa détention, inspiré par une gardienne de prison qui lui sert de muse (Léa Seydoux).
Vient ensuite un hommage émouvant aux utopies de Mai 68, où Frances McDormand suit la révolte étudiante incarnée surtout par Timothée Chalamet et Lyna Khoudri, qui forment un couple merveilleux entre deux « corrections sur un manifeste » écrit par l’acteur franco-américain. Enfin, avant un épilogue honorant la mémoire du rédacteur en chef du magazine, tout juste décédé (Bill Murray), une troisième histoire racontée par Jeffrey Wright revient sur l’enlèvement du fils du commissaire et sur le rôle joué par une cuisine très particulière dans l’opération de sauvetage rocambolesque qui suit. Bref, nous sommes bien chez Wes Anderson, et cela se voit bien sûr aussi dans le reste du casting, tellement gargantuesque qu’on ne peut pas le lister ici, mais où l’on retrouve des habitués comme Adrien Brody, Willem Dafoe ou Edward Norton, sans oublier que de nombreux acteurs français comme Mathieu Amalric et Denis Ménochet viennent également passer une tête pour l’occasion.
Festin de stars, THE FRENCH DISPATCH est aussi un véritable régal visuel conforme à la réputation de Wes Anderson en matière notamment de décors et de mise en scène. Plus que jamais, le cinéaste américain va au bout de ses obsessions en passant en permanence d’un format à un autre – comme dans son magnum opus THE GRAND BUDAPEST HOTEL (2014) –, même si l’essentiel est en 4/3, en hommage aux films français ayant inspiré THE FRENCH DISPATCH. Mais il alterne aussi entre noir et blanc et des couleurs qui varient considérablement selon les époques, et on assiste même à une séance de poursuite assez dingue réalisée en animation 2D par Gwenn Germain, déjà à l’œuvre sur le film précédent d’Anderson, L’ÎLE AUX CHIENS (2018).
Et puisque le tournage a eu lieu dans la ville du Festival de la BD, cette séquence a été entièrement dessinée par des artistes du coin. Mais si le film est un enchantement visuel et sonore de tous les instants (merci la musique signée du fidèle Alexandre Desplat et la reprise d’Aline par Jarvis Cocker, en hommage à Christophe, décédé en 2020), il faut aussi dire qu’il a été formidablement écrit par Wes Anderson, en hommage à un certain journalisme américain très littéraire – THE FRENCH DISPATCH étant une sorte de version fantasmée du mythique magazine THE NEW YORKER. Finalement, on regrette juste de ne pas pouvoir passer plus de temps à Ennui-sur-Blasé avec les personnages de ces trois histoires, qui auraient mérité d’être développées chacune en au moins une heure.
Heureusement, les fans de Wes Anderson pourront se consoler en sachant qu’il a déjà tourné ses deux prochains films, ASTEROID CITY (2023), dont le casting devrait à nouveau être démentiel, et THE WONDERFUL STORY OF HENRY SUGAR, adaptation de Roald Dahl prévue sur Netflix. En attendant, on peut toujours revoir THE FRENCH DISPATCH : c’est quasiment une nécessité compte tenu du rythme effréné du film et des dialogues, mais c’est surtout un plaisir, puisque cela permet de mieux apprécier les détails et le soin apporté par Wes Anderson à cette déclaration d’amour – certes fantasmée mais si touchante – à la presse et à la France.