The Beast Must Die : retour sur une histoire déjà adaptée par Chabrol
Dans cette nouvelle série britannique, une mère est déterminée à tuer un homme abject qui a pris la fuite après avoir percuté mortellement son fils en voiture. Mais avant de donner les six épisodes haletants de The Beast Must Die, cette intrigue à base de revanche a d’abord été un roman policier d’un célèbre auteur, ainsi qu’un film majeur de Claude Chabrol. Voici comment ces différentes versions se distinguent.
« Je ne connais ni son nom, ni son adresse, ni son aspect physique. Mais je vais le trouver et le tuer. » Prononcés par l’actrice Cush Jumbo (The Good Fight) face à la caméra, ces mots ouvrent l'épisode pilote de The Beast Must Die. On retrouve exactement les mêmes paroles dans les premières lignes d’un livre paru sous le même nom en 1938, et dont la série est adaptée. Publié par l’auteur britannique Cecil Day-Lewis (sous le pseudo Nicholas Blake), c’est sans doute le roman policier le plus connu de celui qui est aussi le père d’un certain Daniel Day-Lewis. Contrairement à la série, son personnage principal est un homme, nommé Frank Cairnes et auteur de romans policiers… Qu’il écrit lui aussi sous un pseudo (Felix Lane).
Dans la série, il devient Frances (Cush Jumbo), une enseignante qui elle se fait passer pour une écrivaine en pleine réflexion sur… Une idée de meurtre. Par rapport au livre, l’action change d’époque (on passe de 1937 à aujourd'hui) et se déplace aussi géographiquement : Cecil Day-Lewis avait imaginé son histoire dans le comté du Gloucestershire, mais la série opte judicieusement pour les décors très cinégéniques de l’île de Wight. Elle reprend en revanche le personnage de Nigel Strangeways (joué ici par Billy Howle), un enquêteur aussi brillant que séduisant, mais qui souffre en plus dans la série d’un trouble de stress post-traumatique déclenché par la mort récente d’une de ses collègues dans le cadre de son travail.
Ce personnage est absent de Que la bête meure, l’adaptation en film sortie en 1969 par un grand nom de la Nouvelle Vague, Claude Chabrol. Le cinéaste a repris le titre de la traduction française du roman, dont il transpose l’histoire dans son cadre de prédilection : la bourgeoisie provinciale française de son époque. Son film commence lui aussi avec la phrase citée ci-dessus, et il s’écarte globalement un peu moins du roman, puisque son personnage principal de parent en deuil est un écrivain, cette fois interprété par Michel Duchaussoy. Comme dans le livre, ce dernier consigne toutes ses pensées vengeresses par écrit dans un carnet. Ces notes datées et écrites à la première personne dans le roman sont lues méticuleusement en voix-off dans le film par le sociétaire de la Comédie-Française. Que la bête meure possède aussi la spécificité de s’ouvrir sur la scène très difficile de la mort de l’enfant, qui déclenche l’engrenage infernal de la vengeance. Dans le film de Chabrol, il est renversé par celui qui est peut-être l’un des personnages les plus détestables de l’histoire du cinéma, un fan de grosses cylindrées, vulgaire, violent, et qui tyrannise toute sa famille au quotidien dans sa grande demeure à la campagne.
The Beast Must Die reprend à peu près les mêmes caractéristiques pour sa propre version de cet antagoniste monstrueux, parfaitement incarné par Jared Harris, acteur désormais incontournable des séries prestigieuses (Mad Men, The Crown, Chernobyl…), et qui n’a pas à rougir de sa prestation face à celle de Jean Yanne dans le film de Chabrol. Mais que ce soit dans le livre, le film ou la série, ce monstre est retrouvé via sa belle-sœur, liée malgré elle à l’accident. Et il s’agit à chaque fois d’une actrice ou apprentie actrice : succéder à Caroline Cellier dans ce rôle est quasiment mission impossible, mais la jeune Mia Tomlinson s’en sort avec les honneurs dans la série, grâce à son personnage qui se distingue assez nettement de celui joué par l’actrice française dans le film de Chabrol. Mais sur le petit comme sur le grand écran, l’essentiel de ces adaptations est ailleurs : il s’agit de deux face-à-face mémorables entre des personnages radicalement opposés et magnifiquement interprétés, pour donner sérieusement à réfléchir sur le concept de culpabilité, mais aussi l’engrenage sans fin de la vengeance, et les origines du mal, pour ne pas dire du monstrueux.
The Beast Must Die épisodes 1 à 6, disponibles en intégralité sur CANAL+.